En matière de réforme, il y a ce qui se passe sur le devant de la scène et ce qui se joue dans les coulisses. Celle de l’apprentissage ne fait pas exception. La concertation a démarré officiellement le 10 novembre avec l’installation de quatre groupes de travail par le trio de ministres concernés, Muriel Pénicaud, Jean-Michel Blanquer et Frédérique Vidal. Mais les vrais sujets se discutent ailleurs. C’est le cas notamment “de la révolution copernicienne” du cœur de la que veut mener la ministre du Travail avec cette réforme : les questions financières, pour lesquelles la copie est en grande partie écrite, selon nos informations.
Demain, l’apprentissage et la professionnalisation, l’autre grand dispositif de formation en alternance, seront financés par une taxe unique de 0,85 % de la masse salariale. Soit le même niveau de prélèvements qu’aujourd’hui pour les deux dispositifs. A cela près que le taux pourrait grimper à 1 % pour couvrir le « hors quota », c’est-à-dire la part de la taxe d’apprentissage actuellement affectée à des organismes habilités, grandes écoles notamment (cette part pourrait en effet survivre un peu, le temps qu’ils trouvent d’autres financements).
A l’inverse, le taux pourrait être moindre en élargissant l’assiette à ceux qui sont aujourd’hui exonérés totalement (certaines associations ou groupements d’agriculteurs) ou partiellement (entreprises d’Alsace-Moselle) de taxe d’apprentissage. Pour cela, il faudra imposer une hausse du coût du travail pour nombre d’employeurs. Pas simple politiquement. Quel que soit le point d’arrivée, l’instauration d’un prélèvement unifié – et c’est un changement majeur – garantira que 100 % des sommes collectées iront bien à l’alternance. Car l’autre révolution porte sur les circuits de financement.
Fini l’enchevêtrement de tuyaux, notamment celui qui déverse 51 % de la taxe d’apprentissage aux régions, lesquelles ne décolèrent pas à l’idée que le gouvernement songe à leur supprimer une manne de 1,6 milliard. En lieu et place, la future taxe d’alternance emprunterait un circuit à la main des seules branches professionnelles : 70 % de son montant sera affecté aux organismes paritaires collecteurs agréés (Opca) des plus « riches », le solde à un fonds de péréquation paritaire pour financer les besoins des plus « pauvres ».
S’il voit bien le jour, ce fonds de péréquation devrait satisfaire les artisans de l’Union professionnelle artisanale (U2P). « Vu notre poids dans les OPCA interprofessionnels, nous n’obtiendrions pas de quoi financer nos CFA [centres de formation d’apprentis, NDLR] », alerte son président, Alain Griset. Ce faisant, on s’oriente bel et bien vers une bascule de l’apprentissage vers les branches professionnelles. Reste à voir si la future architecture financière permet de garantir la totalité des investissements des CFA en plus de leur budget de fonctionnement.
L’enjeu n’est pas mince quand on sait par exemple qu’un laboratoire de boucherie aux normes européennes coûte 1 million d’euros. Il l’est d’autant moins que le gouvernement a été clair : pour que les plateaux techniques soient tous remplis, les CFA seront financés au contrat d’apprentissage. A charge pour chaque établissement de couvrir tous ses frais avec un forfait horaire par jeune.
Une option consisterait à passer par les régions, qui touchent aussi une fraction de la TICPE pour l’apprentissage. Cette perspective fait hurler les intéressées, qui refusent de payer pour les murs. « Si le gouvernement veut transférer l’apprentissage aux branches, alors qu’elles prennent tout » , avertit Hervé Morin, le président de Régions de France.
©2017 Les Echos – ALAIN RUELLO